Pourquoi nous ne sommes pas végétarien·nes ?

Nous, c’est la plupart des résident·es de la Ferme Légère, collectif d’une dizaine de personnes, en recherche et expérimentation d’un mode de vie le plus écologique possible (petit rappel pour les nouvelles et nouveaux).

Au début nous étions ce que je qualifie maintenant de « végétariens urbains », avec une faible connaissance des questions agricoles et de production alimentaire.

Le problème était identifié comme cela :

  • L’élevage industriel est inacceptable pour des raisons écologiques et éthiques.
  • Pour nourrir plus de personnes avec la même surface agricole, il faut produire de l’alimentation humaine végétale plutôt qu’animale.

Nous avons donc tenté d’avancer vers plus d’autonomie alimentaire en privilégiant fortement le végétal. Les 2 seules productions animales lancées étaient les œufs et le miel.

Pour atteindre, ou se rapprocher, de notre objectif de mode de vie soutenable, nous voulons minimiser l’utilisation d’énergies fossiles, nous privilégions la non mécanisation et refusons complètement les produits chimiques de synthèse.

Le respect de la cause animale est un objectif supplémentaire et d’ordre moral. Dans quelle mesure peut-on l’ajouter à notre objectif principal de soutenabilité et d’autonomie alimentaire ?

Respecter la cause animale

Qu’est-ce-que respecter la cause animale ? Concernant les espèces domestiques, il y a plusieurs positionnements possibles :

1. Refuser l’existence même des espèces domestiques.
2. Garder les espèces domestiques sans les exploiter du tout.
3. Garder les espèces domestiques sans les consommer mais en les utilisant.
4. Accepter l’élevage des espèces domestiques dans certaines mesures.

Si on refuse la domestication, faut-il laisser s’éteindre les espèces déjà domestiquése ? Adieu veau, vache, cochon, couvée ! Très radical comme choix, extrémiste même, quelle perte ! Plus de mouton, plus de vache, plus de poule. Alors que la diversité animale est en régression, nous en supprimerions la part domestique.

Si on souhaite conserver les espèces domestiques sans les exploiter, c’est à dire sans les manger ni manger ce qu’elles produisent, sans les faire travailler, n’est-ce-pas nous qui tombons à leur service ? Car la plupart de ces animaux ne sont plus adaptés à la vie sauvage et sont dépendants de l’humain. Certains doivent être protégés des prédateurs, d’autres ont besoin d’abri notamment l’hiver, d’autres ont besoin d’aide pour la mise bas. Comme nous mesurons par ailleurs que l’autonomie demande un engagement fort, du temps et de l’effort, il ne nous semble pas tenable d’avoir en charge des animaux qui ne participent pas, ou de très loin, à notre autonomie alimentaire.

Certains animaux domestiques ont pour les humains d’autres utilités qu’alimentaire. Laine de mouton ; travail de la terre et transport avec les gros herbivores ; lutte contre les parasites avec les poules, les canards, les chats ; etc. Pour les autres espèces domestiques, la majeure partie d’entre elles, on retombe sur les problèmes des 2 options précédentes. Soit on ne les garde pas toutes, soit la plupart devient une charge.

Enfin on peut accepter l’élevage et discuter des modalités, de conditions et de durée de vie, de liberté, d’éthique.

Au début de la Ferme Légère

Sans en avoir conscience, nous étions plus ou moins sur l’option 1.

L’écosystème de la ferme avant notre arrivée était pauvre mais stable : prairie, vaches, fauche, glypho. Nous avons rompu cet équilibre sans le savoir. Une partie des prairies n’a plu été pâturée mais broyée, d’autres ont accueilli une jument. Les foins n’ont plus été faits. Au bout de 3 ans, nous étions débordés par les ronces malgré l’utilisation d’un gyrobroyeur. Au fur et à mesure que nous avons démarré des activités agricoles nous avons été de plus en plus écrasés par le travail. Le manque de temps et notre méconnaissance de la ronce nous ont fait passer à côté du problème.

L’état naturel chez nous, c’est la forêt de feuillus (chêne, hêtre, frêne, robinier, etc). La prairie est un aménagement humain instable. Si on ne maintient pas le milieu « ouvert », la ronce forme un tapis de 2 m d’épaisseur en moins de 5 ans, les grands arbres poussent à travers puis lui font de l’ombre et le remplacent, la forêt se réinstalle en quelques dizaines d’années, le milieu se referme.

Au fil des opportunités et des résident·es qui se sont succédé·es, nous avons intégré, en plus des poules et des abeilles :

  • des moutons pour tenir le verger ouvert et pouvoir entretenir les arbres et récolter les fruits ;
  • des ânes pour tenir le reste ouvert, fournir du fertilisant pour les cultures (crottin), et peut-être faire de la traction plus tard ;
  • des canards coureurs indiens pour mettre de la pression sur les limaces ;
  • des chèvres pour lutter contre les ronces ;
  • des oies pour protéger les canards et brouter des petites zones ;

A la fois poussé·es par les contraintes de terrain et motivé·es par une réflexion globale, nous passons donc du (presque) tout végétal à la polyculture-élevage.

Mais pourquoi tenir des zones ouvertes ?

Pourquoi ne pas laisser la forêt reprendre place sur les parties que nous ne voulons cultiver ?

Avec nos 11ha nous aurions pu en cultiver 0,1 et avoir un grand champ de ronce sur le reste, pendant 20 ans, puis avoir un taillis, puis une jeune forêt. Nous avons choisi de laisser partir en sauvage des parties de prairie en bordure de propriété, pour créer une zone tampon avec l’agriculture productiviste, pour augmenter aussi la taille de la zone sauvage dans notre zonage permaculturel. Et nous voulons garder le reste des prairies ouvert pour plusieurs raisons :

  • Pour la biodiversité car une prairie + une forêt + une lisière entre les 2, c’est plus de biodiversité qu’une forêt seulement.
  • Pour garder la possibilité de cultiver plus tard.
  • Pour l’agrément de notre lieu de vie, pour avoir de la vue avec des arbres dedans mais pas que.
  • Et enfin pour le regard que portent sur nous les voisins. Quand on est néo-rural et qu’on débarque sur un territoire rural conservateur, laisser partir en ronces une zone agricole qui à été maintenue depuis plusieurs générations, c’est pas bon pour l’intégration locale.

Donc finalement nous avons intégré des animaux dans notre système permacole. Et de manière plus rapide que prévu suite à une grosse panne de notre vieux 165 Mark III, le tracteur qui permettait de broyer les ronces avec l’herbe qui n’était pas pâturée.

J’en profite pour aborder rapidement un aspect financier. Outre que le tracteur consomme du gasoil et n’est donc pas ce qu’il y a de mieux comme solution écologique, il a aussi un coût économique. Quelques centaines d’euros d’entretien par an c’était acceptable pour ce tracteur que nous n’avions pas eu à payer. Mais pour le remplacer, c’était minimum 10 000 € (en plus de la maintenance) alors qu’il servait moins de 10 jours par an. La solution pâturage serait probablement plus économique.

Bien sûr nous souhaitons que ces animaux soient autant que possible nourris par ce qui pousse sur la ferme. Il faut donc un nombre optimal d’animaux pour être ni en sur-pâturage (érosion, perte de biodiversité, pas assez à manger pour les animaux) ni en sous-pâturage (le terrain se referme). Ceci s’avère très compliqué et fera peut-être l’objet d’un article spécifique quand nous aurons une bonne expérience sur cet aspect (dans 10 ou 20 ans). Il faut donc réguler la population de chaque espèce d’animaux, en bloquant la reproduction ou en tuant.

Pour les ânes nous bloquons la reproduction. Il peuvent vivre 30 ans, nous acceptons d’être dépendant·es de l’extérieur pour le renouvellement du cheptel car celui-ci est très lent. Et puis culturellement, on ne mange pas d’équidés chez nous.
Pour les autres espèces présentes chez nous, le renouvellement est plus rapide (accidents, renard, mort naturelle). Acheter des bêtes à l’extérieur serait transférer le problème à d’autres. En cohérence avec notre objectif d’autonomie, nous voulons faire naître pour renouveler et sélectionner les bêtes les plus adaptées, celles qui sont écolo et de gauche, on élimine les Bayroutistes et tout ce qui est à sa droite. Et cette élimination se termine dans notre assiette, l’autonomie alimentaire est assez difficile à atteindre sans se priver de cette ressource. On se retrouve à manger de la viande une fois par mois (si on ne compte pas les importations illégales comme la boite de pâté posée sur la table par une visiteureuse).
La permaculture peut donc difficilement être végétarienne car chaque élément doit avoir le plus de fonctions possibles. La production de viande est une fonction très secondaire à la FL mais une fonction importante quand même.

Car l’autonomie alimentaire se joue sur plusieurs plans : en diversité, en qualité, en quantité. En terme de calories, nous considérons que les légumes seuls ne peuvent suffir. Il faut les compléter par l’association céréales/légumineuses ou par de la viande ou au minimum par un filet d’huile.
Impossible pour nous actuellement d’atteindre une autonomie en céréales et légumineuses : pas assez de terrains cultivables et le travail nécessaire serait trop important si non mécanisé. Mais c’est un projet à plus long terme et au-delà de notre ferme. La ressource viande, même faible, ne peut pas être négligée, elle permet de produire de la nourriture sur des zones que nous ne sommes pas en capacité de cultiver.

En théorie un système 100 % végétal est possible, mais pour qui ? Pour des experts qui brillent sur youtube peut-être. Mais nous, nous avons mesuré après 5 ans de travail que c’était clairement hors de notre portée. L’agriculture végétale non mécanisée et sans pesticide est un domaine où des connaissances poussées et multiples sont nécessaires. Il y a un fossé immense entre les quelques personnes exceptionnelles qui approchent un tel modèle et le nombre de plus en plus important de néoruraux dont nous faisons partie.

Alors parlons aussi du véganisme, qui nous semble totalement impossible à généraliser. Pour être végan il faut soit :

  • accepter de bénéficier du système thermo-industriel pour pourvoir à tous nos besoins (objets en plastique et nourriture végétale industrielle) ;
  • être un ermite dont la sobriété ridiculiserait ce que nous pratiquons à la FL,
  • accepter une réduction très importante de la population mondiale pour que nous puissions vivre de cueillettes et de cultures faciles mais faiblement productives.

Le véganisme comme nec plus ultra de l’écologie, c’est un fantasme urbain. Cela n’empêche pas le véganisme d’être une démarche individuelle que nous trouvons intéressante et les végans ou végétarien·nes peuvent venir séjourner à la FL sans problème (cela se produit régulièrement).

Alors nous avons trouvé ce compromis : nous produisons prioritairement du végétal et avons pour cela des animaux. La production de viande n’est pas l’objectif principal mais un bénéfice secondaire. Les conditions de vie que nous leur imposons nous semblent très correctes : plein air, nourriture naturelle, zéro chimie de synthèse, taille de troupeau modeste, espace suffisant, etc. Nous mangeons les bêtes que nous tuons nous-même et nous tuons avec le moins de stress et de souffrance possible (peut-être un futur article?).

Marc - septembre 2022