Se questionner sur une spiritualité commune

Une visiteuse de passage nous a interpellé sur l’absence de spiritualité à la Ferme Légère. C’est vrai qu’à priori, nous n'avons pas de spiritualité partagée et affichée. Et dans la charte, il est bien précisé que la spiritualité doit rester de l’ordre du privé. Le sujet est revenu à quelques reprises, assez pour que l'on commence à se questionner.

Kézako ?

Il y a eu des discussions informelles entres résident.es et aussi avec des personnes de passages. Puis on en a parlé de manière plus formelle, en réunion, et la question a continué de circuler dans les esprits de chacun.es. Elle a commencé à prendre de l'ampleur et c'est devenu clivant. On a réalisé que l'on se frottait à des visions différentes et des affects personnels. On est passé par le cap de « - Pour moi la spiritualité c’est ça. -Ah oui, mais pour moi la spiritualité c’est ça. -Ah.. et toi ? -Bah moi je saurai pas le définir, enfin ça veut dire pleins de trucs quoi. ». On s'est rendu compte que c’est un terme très flou et quand on veut réfléchir à un sujet, il vaut mieux savoir sur quoi on réfléchit.

Alors on a ouvert des bouquins et tapé spiritualité sur le ouaibe pour trouver des définitions. C'est une notion aussi abstraite que la photo que l'on a choisi pour cet article et il y a de quoi rester assis un long moment. Donc on va vous épargner ça et vous proposer notre méchoui maison. La spiritualité peut être définie comme ce qui est lié à l’esprit, indépendamment de ce qui concerne la matière1). Qu'elle soit religieuse ou non, elle comporte une part de croyances et désigne une quête de sens, d’espoir ou de libération2). Elle peut être vue comme un développement personnel quand certains l’envisagent aussi comme un développement collectif qui amènerait à une sagesse commune3).

Le processus qui fait du bien

Le sujet a soulevé des divergences entre les résident·e·s. On ne vient pas du même milieu socio-culturel, on n’a pas le même âge et on n’a pas eu le même parcours de vie. Du coup, on a toustes des croyances et des pratiques différentes. Pour que l’on puisse continuer de vivre dans la précieuse paix qui règne à la Ferme Légère, il nous a fallu prendre le temps de nous exprimer, d’entendre et de clarifier ce que l’on accepte ou pas, en tant que collectif, face à l’expression de nos croyances personnelles et plus largement la place que l’on souhaite accorder à la spiritualité à la ferme. C’est bien beau dit comme ça, mais ça ne s’est pas fait tout seul en discutant vite fait autour d’une table.

Ici, pour fonctionner en collectif sans trop se prendre la tête et en étant tout de même efficace, on a entre autres deux types de réunions. On fait une réunion hebdomadaire centrée sur la prise de décisions et une réunion toutes les trois semaines où le temps est pris pour laisser à chacun·e la place d'exprimer ce qu'ielle ressent en sachant que les autres écoutent avec attention. Fort de cette expérience qui jusqu’à maintenant fonctionne bien, on s’est inspiré de ces deux formes de réunions pour avancer sur notre sujet et ça a plutôt bien fonctionné.

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Quand le sujet a commencé à être clivant, on a pris un temps, un soir, pour que chacun·e puissent s'exprimer sur la manière dont ielle vit la question de la spiritualité à la Ferme Légère. Ce moment a permis à chacun·es de comprendre le point de vue de l'autre et d'entendre ses craintes et ses besoins. Il nous aura aussi permis de réaliser que, malgré un clivage évident, on peut continuer de s'entendre et prendre des décisions qui conviennent à toustes. Une fois nos émotions exprimées et entendues, on s'est réunis à nouveau, quelques jours après, avec cette fois-ci la volonté de prendre des décisions sur deux axes de réflexion ressortis lors de cette réunion : la place que l'on accorde à la spiritualité au sein de notre collectif et comment est-ce que l'on souhaite l'exprimer lorsque des personnes de l'extérieur viennent à la ferme. Nous avons précisé ce qui nous lie et acté l'envie commune de le célébrer pour se le remémorer. Nous avons aussi souligné l'envie d'être vigilant·e avec l'expression de nos croyances personnelles vis-à-vis des personnes venant de l'extérieur ainsi que sur le contenu des activités que l'on propose en étant transparent et en rendant possible une alerte en cas de dérive. C’est le début d’une expérimentation qui aura le droit à un autre article quand ce sera mûr.

Pour conclure

Ce que l'on a vécu à la Ferme Légère ce sont des questionnements sur l'existence ou non d'une spiritualité ici et sur la place que l'on souhaite lui accorder. Et si a priori nous n'en avions pas, les discussions nous ont amenées à penser qu'elle existait déjà bel et bien avant nos échanges.

Nous ne sommes pas né·e·s dans un éco-lieu collectif décroissant organisé en gouvernance partagée. Ce n'est pas inné de vivre ici. Pour que l'intelligence collective que l'on désire faire vivre fonctionne, il y a besoin d'individus qui ont et continuent de se remettre en question. Des individus ouverts aux changements et prêts à développer d'autre façon d'être. Ces aspects peuvent se rapprocher de la spiritualité et nous sommes individuellement et collectivement dans cette démarche. Si nous recherchons à progresser et améliorer nos capacités de faire, nos capacités matérielles, nous avons aussi la même attitude concernant nos capacités d'être. Cela nous a amené, par exemple, à questionner la place que prend le patriarcat à la ferme et le besoin de faire vivre ce sujet.

Et si nous avons choisi cette vie c'est aussi parce qu'elle a du sens et qu'elle nous apporte une forme de libération. Nous sommes des personnes refusant le système dominant actuellement en place, vecteur d'oppressions dont nous souhaitons nous affranchir et nous avons cœur à proposer un autre modèle. Nous trouvons du sens à protéger et favoriser le monde vivant, à entretenir des relations bienveillantes et à partager notre mode de vie. Nos discussions sur l'existence d'une spiritualité à la Ferme Légère nous ont amenées à mettre des mots sur ce qui nous lie. Nous souhaitons continuer nos réflexions sur nos liens entre humains, sur nos liens avec les êtres vivants autres qu'humains et pouvoir se remémorer et célébrer ensemble ce pourquoi nous sommes ensemble : l'amour et le respect du vivant.

Sylvie et Pierre, janvier 2023

1)
Les infaillibles dictionnaires Larousse et Robert
2)
L’intelligence collective controversée de Wikipedia
3)
Les gourous des écolos, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle dans L’effondrement (et après) expliqué à mes enfants… et à mes parents, Éditions du Seuil, 2022, 192 pages.