Partage d'expérience de la Ferme Légère : Autonomie
Autonomie électrique
Tendre vers l’autonomie énergétique doit mixer usages et technologies, comme le propose le scénario Négawatt : sobriété (usage), efficacité (technologie), énergie renouvelable (contrainte). L’ordre de ces 3 volets est important dans la démarche Négawatt, reduire d’abord ses besoins avant d’envisager des solutions techniques. C’est bien sûr ce que nous avons fait à la Ferme Légère, et notamment pour l’électricité avant l’installation de notre système photovoltaïque : supprimer toute production de chaleur (cumulus électrique, sèche cheveux, bouilloire, plaque de cuisson, etc), faire la chasse aux veilles (ordinateur, hifi, box, etc), utilisation réduite de machine de forte puissance (aspirateur, broyeur, etc). Rien de bien contraignant, certains objets ont été donnés à Emmaüs et nous avons pris de plus sobres habitudes.
Mais parfois c’est la technique qui engendre des usages plus sobres, ou inattendus…
Tous les utilisateurs n’ont pas la même motivation à limiter leur consommation électrique. Connecté au réseau public, nous avons accès en permanence à une quantité d électricité quasi illimité et ce que nous consommons est invisible. La seule manifestation concrète de notre consommation est la facture d’électricité mais celle-ci est relativement incompréhensible, elle arrive plusieurs mois après et les relevés estimés brouillent encore plus l’information. Enfin, quand on a déjà fait quelques efforts pour réduire sa consommation, on paye autant d’abonnement que de courant, ce qui réduit fortement l’intérêt financier d’aller plus loin dans la sobriété énergétique.
Le choix collectif de la déconnexion
Le choix d’un système avec batterie n’a pas était évident :
- A priori sur la pollution des batteries.
- Peur de ne pas avoir du courant tout le temps ou pas suffisamment si les besoins du collectif augmentent.
- Questionnement politique sur le fait de ne pas partager notre électricité solaire via le réseau public.
- Coût de l’installation multiplié par 2.
Les principaux argument « pour » étaient l’autonomie et l’envie de ne plus être relier à une centrale nucléaire, et ils ont fait basculer la décision. Mais depuis, un autre avantage est apparu et à rendu évident notre choix d’un système autonome : la connaissance de notre production en temps réel permet d’adapter nos usages.
Car, contrairement à la facture, la jauge de batterie parle à tout le monde. C’est simple et instantané.
Le compteur Linky aurait pu être un appareil indiquant au consommateur sa consommation instantanée et la disponibilité en électricité. Associé à un coût variable de l’électricité et à la suppression de l’abonnement, nous aurions eu un moyen pour réduire fortement la consommation nationale en même temps que de l’adapter à la production.
Mais réduire la consommation n’a jamais été un objectif et il a été préféré une voie opposée : un transfert d’information dans l’autre sens, de l’utilisateur vers le gestionnaire du réseau, c.a.d. la surveillance plutôt que la responsabilisation.
Présentation technique de l’installation
Notre installation de production d’électricité est un système photovoltaïque non connecté au réseau, donc avec un stockage d’électricité : une affreuse batterie avec du plomb et de l’acide sulfurique (même technologie que les batteries de démarrage de voiture).
Schéma de l’installation
Cette installation alimente une maison de 250 m² sur 2 niveaux, avec 6 chambres privées pour une ou 2 personnes chacune, 1 dortoirs 6 lits, des parties communes (2 sdb, cuisine, salle à manger salon). Le nb de résident·es permanent fluctue entre 2 et 10 personnes (idéalement 8) plus 1 à 10 visiteur·euses ou stagiaires. Nous sommes dans le sud-ouest de la France, en Béarn, où il fait beau toute l’année, ah ah.
Panneaux solaires
Ils ont été achetés d’occasion et c’est cette opportunité qui nous a décidé à lancer ce projet. Car nous étions conscient que le solaire photovoltaïque (produire de l’électricité) à un impact écologique plus fort que le solaire thermique par exemple (chauffer de l’eau), ce n’était donc pas prioritaire dans notre démarche. D’un point de vue économique, l’achat de panneaux d’occasion était peu intéressant puisque le prix du neuf avait fortement baissé depuis quelques années. L’occasion nous prive aussi de la garantie constructeur, mais c’est acceptable car le panneau est l’élément le plus fiable de l’installation. L’important pour nous était que l’achat d’occasion permettait de remettre dans le circuit des panneaux qui dormaient dans leur carton.
Un panneau solaire thermique (TH) chauffe de l’eau. Il récupère plus de 50 % de l’énergie du soleil qu’il reçoit. Un panneau photovoltaïque (PV) produit du courant. Il ne récupère que 20 % de l’énergie du soleil.
L’installation TH peut être « basse technologie ». Il est possible d’auto-construire les panneaux et de se passer de pompe électrique (ainsi que de sa régulation électronique) avec un système en thermosiphon (le ballon est au-dessus de panneau, le fluide circule tout seul quand le soleil chauffe les panneaux). L’installation PV est par nature « haute technologie ».
Batterie
Elle est installée dans un coffre isolé pour protéger les cellules des chocs mécanique et thermique. La partie du coffre collée à la maison n’est pas isolée de manière à bénéficier de l’inertie du mur, de la chaleur de la maison en hiver et de sa fraîcheur en été. Le support doit être solide puisqu’il y en a 800kg.
Les cellules ont été achetées neuves et c’est très important car la manière dont une batterie est utilisée conditionne sa durée de vie. Plus une batterie est déchargée plus elle vieillit (réduction de sa durée de vie en nombre de cycles charge décharge).
Nous avons donc privilégié la sous-utilisation et nous sommes fixé les seuils suivants :
- Charge au dessus de 95 %, c’est la sobriété heureuse.
- Charge en dessous de 80 %, nous coupons tout entre 23h et 17h, mais cela n’arrive pas souvent, car en dessous d’une certaine consommation, même par temps gris les panneaux produisent suffisamment et le niveau de charge ne descend plus. Quand il pleut la production est quasi nulle.
Dans la pratique, ces consignes sont plutôt bien respectées.
Impact écologique des batteries
Nous avons donc 744 kg de batterie, dont environ 497 kg de plomb, 223 kg d’acide sulfurique et 24 kg de plastique (probablement du polypropylène). Très polluant si on l’abandonne dans la nature, tout ceci se recycle très bien et la filière existe et fonctionne en France.
L’impact écologique des batteries peut donc être minimisé et il faut le comparer à l’impact écologique qu’a une connexion au réseau public en zone rurale : pour 200 m de ligne électrique il faut 6 poteaux en bois autoclave, soit 600 kg environ, ou 4 poteaux béton, soit 5 T, plus 200 kg de cuivre et 50 kg de plastique pour les câbles. Plus les fondations et la pose des poteaux, et enfin l’élagage régulier des lignes.
En 1ère approximation, l’impact des batteries nous semble du même ordre de grandeur que la connexion au réseau.
Quand la charge est revenue à 100 % et qu’il y a encore un beau soleil sur les panneaux, orgie électrique autorisée (toute proportion gardée). Nous avons racheté une bouilloire électrique et un grille-pain à Emmaüs !
Il y a 200m de dénivelé sur notre terrain et nous avons réfléchi à un moyen de stocker cette électricité perdue via une STEP (2 bassins, quand on a du courant on pompe l’eau vers le bassin du haut, quand on en manque on turbine en laissant redescendre l’eau vers le bassin du bas). Nous avons abandonné l’idée car :
- Quand on produit plus que l’on ne consomme, augmenter la capacité de stockage ne fait que repousser le (faux) problème, à un moment c’est plein et on ne sait que faire du stock.
- Bassins et turbine nécessitent un investissement très important (plus que notre système solaire entier), ce serait une fuite en avant.
- De nouvelles composantes techniques (mécanique et hydraulique) compliquent le système et nécessite des compétences supplémentaires.
- Il faut de l’eau en quantité pour compenser les pertes, nous n’en avons pas assez.
Autre piste abandonnée : vendre ou donner aux voisins. Malheureusement, si nos excédents sont gros pour notre sobre ferme (quelques kWh par semaine), ils sont ridicules au regard de la consommation moyenne en France (plusieurs dizaine de kWh par jour et par foyer). L’investissement et les tracas administratifs de la revente n’en vaudrait pas la peine.
Nous avons aussi tenté un forage, avec le projet de pomper de l’eau lors des excès de courant, pour l’envoyer vers les différents éléments de notre système d’autonomie en eau (puits, cuve d’eau de pluie, marres) de manière à les soutenir en cas de disette hydrique. Malheureusement le forage fut sec.
Nous avons finalement créé un petit château d’eau qui se rempli en milieu de journée par pompage de l’eau d’une marre et qui sert le soir à arroser par gravitation.
Chaque hiver nous avons une 20aine de jours cumulés où nous sommes sous les 90 % et 5 ou 6 jours sous les 80 %, tout le reste de l’année nous sommes au-dessus et tout le système électrique est en service. Notre profondeur de décharge moyen sur l’année est d’environ 10 %, ce qui est très faible et le graphique nous donnerait une durée de vie de 12 000 cycles (si la courbe était prolongée) soit 33 ans !
Cette sous-utilisation (ou sur-dimensionement) permet d’avoir de la marge pour de futurs projets nécessitant de l’électricité, ou pour des urgences (par exemple mise en marche d’un congélateur pour ne pas perdre une production alimentaire). Elle réduit aussi les besoins d’équilibrage (voir encart).
Equilibrage des cellules de batterie
Notre batterie 48V est constituée de 24 cellules de 2V en série. Ce sont des cellules à électrolyte liquide et elles nécessitent d’être périodiquement équilibrées. L’équilibrage est une surcharge volontaire pour que les cellules les moins chargées atteignent elles aussi leur pleine charge. Quand on est raccordé au réseau (la batterie sert alors de réserve de secours) l’équilibrage peut être fait quand on veut (si le réseau marche). En non connecté c’est problématique car le fabricant préconise des équilibrages de 72h, ce qui n’est possible qu’au pôle en été. En Béarn il faudra se contenter d’équilibrages court 6h en hiver) et plus fréquents. On paramétrera aussi le niveau de charge normal (hors équilibrage) près du maximum de la plage préconisée par le fabriquant.
Electronique
C’est un système tout-en-un : chargeur régulateur de batterie en 48V et onduleur pour alimenter la maison en 220V alternatif. Sur cet élément (Solarix PLI de chez Steca, que nous l’appellerons « centrale électronique ») sont connectés les panneaux, la batterie et maison). Un petit afficheur (BMV 720) permet de connaître en permanence l’état de charge de la batterie, ainsi que leur température, ce que ne permet pas notre centrale électronique.
Système non connecté
Après 2 ans de test, nous avons résilié l’abonnement chez Enercoop. Un an plus tard ENEDIS à coupé le raccordement au réseau (ils ont enlevé les fusibles dans le coffret en bord de route). Nous ne sommes donc pas vraiment un « site isolé » puisque on peut reprendre un abonnement en quelques jours.
Si les panneaux sont ensoleillés alors que la batterie est déjà pleine et que les consommations dans la maison sont plus faibles que l’électricité pouvant être produite par les panneaux, il y a de l’électricité perdue. Techniquement ce n’est pas un problème, ça ne chauffe pas, il n’y a pas besoin d’écouler quelque part cet excédent d’énergie car cette énergie n’est pas produite. Si vous mettez un panneau au soleil sans le brancher à quoi que ce soit, il ne produit rien mais n’explose pas pour autant. Mais énergétiquement c’est dommage de ne pas utiliser cette énergie que l’on peut considérer comme gratuite.
Vu le prix total de l’installation (10 000€) et notre consommation moyenne (4 kWh par jour), au prix actuel de l’électricité il nous faudra 20 ans pour commencer à économiser… si notre installation est toujours en ordre de marche dans 20 ans, ce qui n’est pas évident. Le choix de l’autonomie est donc économiquement hasardeux.
Les usages s’adaptent
Avec la déconnexion du réseau et un affichage clair de l’état de charge de la batterie, tout le monde comprend la nécessité d’adapter ses usages en fonction de la quantité de courant disponible, encore faut-il savoir quoi et comment adapter, car tout le monde ne fait pas la différence entre Watt, kilo Watt et kilo Watt heure, entre la consommation d’une box ou celle d’un sèche cheveux.
Pour que chacun sache à peu près ce qui consomme ou ne consomme pas, nous avons relevé ou mesuré la puissance (en Watt) de tous les machins électriques de la maisonnée (ordinateur de untel 44W, box internet 18W, perceuse filaire 350W, accus de perceuse en cours de charge 30W, aspirateur 2000W, pompe du puits 750W, etc). Quand il n’y a pas d’indication claire sur l’appareil électrique, nous utilisons un wattmètre qui se branche entre la prise murale et la prise de l’appareil.
La consommation, c’est la puissance multipliée par le temps d’utilisation :
- Box, 18W x 24h = 432Wh tous les jours.
- Perceuse, 350W x 5 min = 350 x 5/60 = 29Wh les jours où on s’en sert.
- Machine à laver le linge = 2000W x 20 min = 2000 x 20/60 = 666Wh par cycle
- 6 ampoules LED 7W pendant 4h = 6 x 7 x 4 = 168Wh tous les jours
Avec les ampoules LED (entre 2 et 15 w) la lumière ne consomme pas grand-chose alors que c’est un des services les plus important que nous rend l’électricité, avec le pompage de l’eau (à la Ferme Légère en tout cas). Alors lâchons un peu sur la chasse aux lumières laissées allumées, ce sont les gros consommateurs qu’il faut utiliser ou pas en fonction de l’état de charge de la batterie :
- La machine à laver le linge attend le voyant vert (batterie pleine ou en passe de l’être), le bac à linge sale est un réservoir d’énergie encore plus écologique que la batterie.
- L’aspirateur et la cuisson électrique sont sensés attendre le voyant orange (batterie pleine et courant perdu).
- Les machines à bois consomme un peu moins que la machine à laver et aussi moins longtemps, il est facile de trouver le moment de les utiliser, seul les gros chantiers doivent viser les belles journées ensoleillées.
- La soirée cinéma collective, avec vidéoproj nécessite de consulter la météo du lendemain.
- La tronçonneuse électrique permet de déplacer des consommations électriques en faisant une partie du tronçonnage l’été au lieu de le faire l’hiver.
Relativité de l’autonomie électrique
Nous ne sommes qu’en pseudo-autonomie électrique puisque nous produisons notre courant mais pas le matériel pour produire ce courant. Quelles pannes prévoir ?
Panneaux solaires
Une fois installé en fonctionnement, un panneau solaire ne risque plus grand-chose à part une très forte grêle ou un impact de foudre. Pour optimiser la production en hiver, les panneaux sont inclinés à 55° avec le sol, c’est probablement assez raide pour que les panneaux résistent à des grêlons de la taille de balles de ping-pong. La probabilité d’un impact de foudre directement sur les panneaux est très faible et si cela se produisait, les panneaux endommagés seraient retirés et le système remis en marche avec une puissance crête plus faible. Un impact de foudre dans un rayon de 300 m autour de l’installation est plus probable et dans ce cas il y a risque de surtension, risque minimisé par une bonne disposition des câbles et des parafoudres.
Protection contre les surtensions
Un impact de foudre produit un champ électromagnétique qui lui même produit du courant dans les câbles électriques s’ils forment une boucle. La surtension est proportionnelle à l’aire de la boucle.
Le parafoudre est un composant électrique qui protège l’installation en la mettant à la terre en cas de surtension. Le courant de surtension est écoulé dans le sol au lieu de griller votre électronique.
Attention, la manière de câbler le parafoudre (longueur de fils, section et disposition) est importante pour son efficacité, mais cela dépasse le cadre de cet article.
Batterie
Une fois installées dans leur caisson protecteur, les cellules de la batterie vont se dégrader a une vitesse dépendant de leur sollicitation (profondeur de décharge). Il n’y a pas de panne à redouter sauf accident (choc, surchauffe, vandalisme). Si la sous-utilisation actuelle perdure, nous espérons 20 ans d’utilisation compatible avec nos besoins.
Nous avons néanmoins dû changer une cellule au bout de 3 ans (échange gratuit de notre fournisseur Solaire Diffusion). Elle devait avoir un défaut au départ et nous n’avons pas fait suffisamment de charge d’équilibrage.
Centrale électronique
La panne électronique est bien plus probable et très aléatoire. Un matériel peut lâcher un mois après la garantie ou tenir plusieurs dizaines d’années. La qualité du matériel n’étant pas toujours liée à son prix, il très difficile d’évaluer le risque de panne. Nous avons choisi une centrale électronique peu chère mais en avons pris 2 pour en avoir une de secours. Nous avons déjà eu 2 pannes avec retour constructeur (2 ou 3 semaines chaque fois). Nous avons après coup construit un local autour de l’installation pour réguler l’humidité subit par l’électronique.
Faire sans électronique ?
On peut difficilement envisager de faire sans électronique, il faudrait :
- reconfigurer l’installation en 12 ou 24V,
- diviser par 3 le nb de panneaux ou gérer manuellement la charge de la batterie (brancher débrancher au bon moment),
- acheter des appareils consommateurs du même voltage que le système, ce qui sera peut-être aussi difficile que d’acheter une nouvelle centrale électronique.
Ce serait très fastidieux et ne pourrait répondre qu’à un besoin vital comme le pompage de l’eau ou éventuellement l’éclairage. Dans tous les cas, cela diminuerai fortement la durée de vie de la batterie et augmenterai le risque de fausse manipulation et d’incendie.
Reste enfin la solution de faire sans électricité, ce qui est le meilleur gage d’autonomie en la matière. Nous nous donnons 20 ans pour s’équiper des outils manuels et pour acquérir les savoir-faires nécessaires ;-)
Marc – Juin 20, décembre 21
Tu as assez fait d'écran
Demain tu pourras lire un autre article de la Ferme Légère.