Ecologie ou viabilité économique ?

La Ferme Légère est un écolieu. Clarifions tout de suite que le « éco » fait référence à l’écologie et non à l’économie. Une économie saine et durable ne pourrait qu’être écologique, mais ce n’est malheureusement pas le cas dans notre système productiviste qui nous amène à sacrifier les conditions de vie de nos propres enfants, quand ce n’est pas directement la nôtre (pour les lecteurs de moins de 50 ans).

La Ferme Légère est aussi un machin qui nous occupe à temps plein, ce qui fait qu’on a difficilement le loisir de bosser à côté ahah. Comme l’autonomie, en tous domaines, est une des choses qui nous intéresse grandement, le coût de la vie y est particulièrement bas. Grosso modo avec 300 à 400€/mois tu t’en sors. Mais quand même il faut bien les trouver quelque part.

Ecologie et rentabilité économique ne font pas bon ménage, sinon la planète ne serait pas dévasté par le productivisme.
2 voies se présentent alors :

  • Les projets agroécologiques à visée commerciale (maraîchage ou autres activités agricoles en « bio » au sens large) ont l’impératif économique qui s’impose en 1er. Certes, cet impératif économique peut être minimal puisque ces entrepreuneureuses restent longtemps, si ce n’est toujours, au dessous du SMIC. En tout cas, l’écologie y vient ensuite, du mieux possible, mais quand c’est pas rentable, il faut bien mettre de l’eau chlorée dans son vin bio ou fermer la ferme. On ne leur jette pas la pierre et même on les remercie de nous fournir de la nourriture de qualité alors que nous, plus exigeant, avançons plus lentement sur le chemin de l’autonomie alimentaire.
  • D’autres projets visent l’écologie en 1er et bricolent économiquement, survivent ou meurent. C’est le cas de la Ferme Légère (rayon bricolage). Économies perso (d’une vie antérieure de collabo), petit boulot parallèle, RSA, austérité plus plus … les bénévoles à temps plein de la ferme se débrouillent chacun·e à leur manière pour payer leur loyer et la contribution bouffe.

Pas très originales, chez nous les 1ères tentatives d’activités économiques ont été le maraîchage, l’apiculture et le pain. Seul ce dernier s’est avéré économiquement viable. Passons sur l’apiculture qui a périclité pour cause de transmission de l’activité de débutante en débutant au fil des arrivées et des départs de résident·e·s.
Le maraîchage est un cas plus intéressant. Les maraîchers et maraîchères en général ne roulent pas sur l’or. C’est un métier dur et technique. Notre recherche d’autonomie et d’empreinte écologique minimale nous a fait opter pour le bio (évidemment) et la non mécanisation (tout à la main). Nous limitons au max l’utilisation de plastique, notre terre n’est pas mauvaise mais pas super non plus, l’eau est très limitée. Une configuration très intéressante pour expérimenter de la résilience mais des handicaps sérieux pour poser un stand sur un marché. En quelques années, il est devenu clair que pour vivre de cette activité il faudrait faire d’importants compromis écologiques. Nous avons continué à développer l’activité mais dans un but vivrier, ce qui ne nous empêche pas de vendre quelques surplus mais c’est marginal.
D’autres résident·e·s ont mené des activités sur ordi (télétravail ou création), mais là on s’éloigne de la vocation de la ferme.
D’autres reçoivent des aides de l’état (RSA et CAF) et nous considérons que ce n’est pas volé, vous allez comprendre pourquoi…

Les questions que nous nous sommes finalement posées sont : Qu’est-ce-que la FL produit d’intéressant ? Où sont nos compétences rentabilisables ? C’est où qu’on est meilleur que la moyenne ? Je formule ces questions à postériori, car sur le chemin c’est bien plus flou.
Toujours est-il qu’à un moment c’est là : nous sommes un centre d’expérimentation de la décroissance, de l’écologie radicale, de l’empreinte écologique soutenable.
Et ça intéresse plein de gens ! Sauf les subventionneurs. Si on additionne nos RSA et nos alloc logement, on doit rester loin derrière la PAC touchée par les agriculteurs conventionnels.
Pourtant le chemin que nous explorons nous semble d’une importance chaque jours plus grande. Nous prenons donc RSA et CAF comme de maigres subventions à la recherche publique.
Comme ça suffit pas, on monnaye en partie nos connaissances qui s’accumulent petit à petit. Nous proposons, nous aussi, des stages. Pas du tout résilient comme activité, ça marche tant qu’il y a le monde de fous qui tourne et qui produit des déboussolés en recherche de cohérence et de nature. Espérons que notre agroécologie radicale subviendra de mieux en mieux à nos besoin au fur et à mesure que les conditions se dégraderont et que les stagiaires solvables se feront plus rares.

Plus on s’éloigne des normes culturelles et économiques, plus la viabilité économique légale est difficile à atteindre. J’introduis le terme « légal » pour élargir la réflexion. Dans une société qui a normalisé la destruction de la biosphère qui lui est pourtant indispensable, la légalité semble un frein important au fonctionnement effectif d’alternatives radicales (qui vont à la racine du problème) :

  • frais administratifs qui annulent la faible rentabilité ;
  • normes inadaptées ;
  • autorisations difficiles à obtenir pour des projets qui ne rentrent pas dans les cases ;

Sans vouloir entrer en illégalité, on s’y sent parfois acculé tant les voies réglos sont bouchées ou piégées. Cette société n’a fondamentalement pas envie de changer (malgré les beaux discours), la majorité des gens n’ont pas un réel désir de sobriété et de respect des autres formes de vie (ça pourrait venir si…).

Arriverons-nous a une viabilité économique et déclarée de notre « centre d’expérimentation et de formation » non subventionnée ? Réponse dans 10 ans.

Marc - mai 22