Partage d'expérience de la Ferme Légère : Politique
Ce dont il faudra bien nous libérer
… si on veut devenir vraiment écolo
Une des caractéristiques principales de la Ferme Légère est la recherche d’une empreinte écologique minimale. Comme nous l’avons expliqué dans l’article sur la soutenabilité de notre mode de vie , c’est la sobriété qui est centrale dans une telle démarche, ainsi que la mutualisation.
La sobriété au quotidien au sein d’une société ultra-consumériste
Si on s’intéresse aux aspects de nos vies qui pèsent le plus dans notre bilan écologique, on identifie vite des incontournables. Certains ne posent pas de problème majeur et entrent dans la panoplie habituelle de l’écolo (manger moins de viande, mettre des ampoules LED…). D’autres sont plus problématiques voire douloureux mais on ne peut pas les ignorer si on veut sincèrement réduire notre empreinte écologique.
Exemple
Bim, visiteuse régulière, fait remarquer que s’envoyer des mails alors qu’on habite dans la même maison, c’est pas le top de la décroissance. Oui mais oui mais c’est pratique parce que parce que… Bon d’accord, on arrête de renvoyer sur la liste interne les messages des gens qui nous contactent, on créé une boite mail spécifique et ensuite c’est à chaque résident·e d’aller consulter cette boite s’ils veulent être au courant des échanges. Nombre de mails divisés par 5 environ (je vous passe les détails). On en est resté là, plutôt satisfait, jusqu’à que la suppression d’internet à la ferme s’invite dans les débats (ce n’est pas encore le cas). Ouf, problème (temporairement) résolu, sans perte significative de confort ou d’efficacité.
A la Ferme Légère nous nous confrontons régulièrement à ces points durs. La 1ère phase est souvent l’évitement. On évite d’aborder le sujet car on sent qu’il va demander du temps et de l’énergie au groupe alors qu’on a déjà plus à faire que ce que 24h permettent. Ensuite on repousse à plus tard, toujours pour les mêmes raisons, mais au moins le problème est posé, c’est la phase de maturation. Le sujet revient sur la table de temps en temps, à l’occasion de la remarque d’un·e visiteur·euse, d’un événement particulier ou d’un hasard de la vie du collectif. Chacun progresse intérieurement et se positionne par rapport au sujet. Vient le temps des essais : on teste un truc, une nouvelle modalité d’organisation, un substitut plus écologique, une règle de plus…
Mais parfois le substitut, la solution technique ou la modalité organisationnelle ne change rien, ou pas grand-chose au problème de fond, l’impact écologique. On dépense beaucoup pour un résultat qui n’est pas beaucoup plus que symbolique. Alors si on veut continuer à avancer, il va falloir envisager d’enfreindre une nouvelle fois le grand tabou occidental : renoncer à cette consommation, se passer du truc, s’abstenir, faire son deuil. Dans ce cas la sobriété ce n’est plus réduire mais supprimer. Pour cela il nous faut faire la part entre nos envies et nos besoins, entre nos peurs irrationnelles et les vraies difficultés de la vie, entre ce qui nous rassure et ce qui nous rend vraiment heureux.
Le but de cet article est d’identifier les démarches écologiques incontournables, de voir en quoi elles peuvent être particulièrement difficiles et comment nous avons néanmoins trouvé moyen d’avancer. Il n’y a évidemment pas de volonté de culpabiliser mais l’objectif de dire les choses, même si ça peu faire mal parfois.
Précisons qu’à la Ferme Légère il n’y a pas d’interdits formels. Nous avançons ensemble, de manière progressive, sans vouloir changer trop d’habitudes du jour au lendemain. Nous laissons de la place aux circonstances exceptionnelles, avec souplesse et tolérance. Nous ne sommes pas sur le dos les uns des autres et essayons plutôt d’être dans l’accompagnement mutuel et la pédagogie…
Alors pour les gens qui voudraient venir s’installer à la FL… pas de panique :-)
Assez de théorie à 2 balles,
nous vous avons promis du concret, de l’expérience de terrain…
Pour chacun des sujets abordés, je ne vais pas citer de sources ni discuter leur impact écologique. Ils sont devenu des évidences chez nous. Les démonstrations de leur négativité écologique sont nombreuses et facilement trouvables par ailleurs.
Café, chocolat, beurre et autres plaisirs instantanés
Ca a mis du temps mais un jour l’addiction au café a été mise sur la table, et dans la foulée toute notre alimentation a été passée au crible (je romance un peu, c’est pour la lisibilité du propos). Nous avions déjà banni les produits industriels que l’on trouve en grande surface (règle occasionnellement transgressée) et donnions la priorité au bio local. Nous avons ajouté de ne rien acheter hors de France, Italie et Espagne. Cela fait beaucoup de choses en moins ! Mais il en reste encore tellement, impossible de mourir de faim. Lentilles corail ? Non, lentilles verte. Yannoh à la place du café. Rien (ou transgression) à la place du chocolat. Purée de sésame à la place du beurre …
Un rescapé, le sucre de canne, pour ne pas perdre nos fruits excédentaires (facile la justification).
Rien de tous ce que nous avons viré n’est indispensable, mais mis bout à bout cela touche nombre de nos habitudes alimentaires et lae visiteur·euse sera surpris de ne pas trouver telle ou telle choses sur la table. Et pourtant, avec un peu de créativité culinaire et solidarité, on y arrive.
C’est le fait de prendre les repas en commun, plutôt que de chacun préparer son petit truc selon ses envies, qui nous à permis d’alléger écologiquement notre assiette.
Cuisine clic clic c’est prêt
Cuisiner sans plaque électrique ni gaz, en faisant la chasse au gaspi, nécessite du temps. Heureusement qu’on est en collectif et qu’on cuisine chacun son tour, un jour par semaine en moyenne. Récolter des légumes, les laver, les éplucher éventuellement, utiliser les restes de la veille, les légumes qui vont se perdre et la récup des invendus du magasin bio, fendre du bois, allumer un cuiseur à bois ou réorienter le cuiseur solaire, faire la vaisselle, faire chauffer l’eau pour le petit déj du lendemain… Elles sont nombreuses ces petites tâches que les produits industriels nous ont fait oublier.
Nous pratiquons une cuisine lente avec des équipements simples et manuels… et nous mangeons très bien à la FL !
Le temps dédié à la préparation des repas est prévu dans notre organisation et une fois encore c’est le fait d’être en collectif qui rend cela supportable.
Voiture individuelle
C’est un des gros morceau ! Comme dit notre pote Jef, “il faut quantifier”. Pas la peine de s’embêter à éteindre les lumières (surtout en LED) si on prend la voiture pour autre chose que sauver la veuve et l’orphelin… car La voiture, c’est encore la pollution majeure de la FL. Et pourtant on en a une pour 5 résident·es actuellement, on groupe les trajets, on fait du vélo (et on maintient une flotte de vélo en libre service pour les visiteur·euses), on fait du stop, du covoit…
Certains trichent, moi entre autres, avec un vélo électrique. La faiblesse de la consommation de l’équipage permet pour le moment de ne pas attirer l’attention du grand inquisiteur de la décroissance.
La voiture individuelle, thermique ou électrique, est incompatible avec un mode de vie écologique. A la campagne c’est pas simple et on peut parfois se sentir démuni voire piégé.
Une des clé est de ne pas laisser s’installer des situations ou la voiture est de fait indispensable. Par exemple si une personne doit aller tout les jours à 20 km pour son travail, il faut envisager de refuser ce travail ou de déménager (j’ai pas dis que c’était simple).
Mais avec du temps, de l’organisation et de l’anticipation on y arrive !
Sortie nature (à la montagne) et culturelle (à la ville)
Conséquence directe du refus de la voiture individuelle, finies les sorties régulières pour une journée loisir ou une soirée culturelle solo à 20 bornes.
C’est notre rayon d’interaction sociale qui doit être ici questionné. Car la voiture n’a pas raccourci nos temps de transport, elle a agrandi notre territoire personnel. Il s’agit donc de se recentrer, d’apprécier ce qui nous entoure, et quand on vit dans un endroit comme la FL, il y a de quoi s’occuper et s’émerveiller toute la journée.
Développons des interactions sociales et des activités locales !
Voyage en avion
Pour celui qui n’utilise l’avion que pour partir en vacances, s’en passer ne devrait pas être un problème… après une bonne prise de conscience écologique (matin et soir pendant 6 mois).
Pour d’autres, le pas peut être particulièrement compliqué : des enfants, un amour, des amis qui vivent à l’autre bout du monde (ou à l’autre bout de la France pour la version TGV) ; un travail TRéééés important qui impose de traverser régulièrement le ciel ; une vie tellement ennuyeuse qu’elle nécessite un repos dépaysant…
Comme avec la voiture, nous pouvons nous retrouver dans des situations inextricables ou le polluoplane semble un passage obligé. C’est alors l’organisation de nos vie qu’il faut interroger, ou assumer de ne pas être écologiste…
Faisons le deuil de l’avion ou de l’écologie (au choix).
Streaming
Ben là on a encore rien acté. Ça mature, on en parle de temps en temps. Notre consommation internet n’a pas encore était vraiment questionnée.
Pourtant, il devient clair pour nous que télécharger un morceau de musique à chaque écoute plutôt que de l’enregistrer sur son disque, c’est du n’importe quoi numérique. Ainsi que visionner tout seul un film sur internet. Car Internet est très polluant : des ordinateurs, des câbles, des serveurs, des datacenters… le tout consommant une énergie plus importante que l’aviation civile!
Pour être moins dépendant de cette médiathèque totale, nous investissons dans des livres, notamment pour tout ce qui est du domaine technique (permaculture, construction, autonomie…).
Espérons qu’une mise à jour de cet article vienne témoigner d’une vraie amélioration à la ferme avant qu’internet ne s’écroule.
Nature On Demand
Ca a l’air de rien, mais une vie reconnectée à la nature, c’est aussi quand il pleut ou sous un gros cagnard.
Il nous faut faire avec la météo et les contraintes de notre mode de vie rural : électricité coupée pour préserver les batteries, douche parfois tièdasse, linge sale qui attend, patauger dans la boue, arroser tous les jours en été. Une partie de nos tâches sont à faire quoi qu’il arrive, d’autres sont à replanifier continuellement.
Il ne s’agit plus de consommer de la nature quand ça nous arrange mais de vivre avec elle et d’adopter un mode de vie paysan.
Comportements individualistes
Autre gros pilier de notre légèreté écologique, la mise en commun de tout ce qui peut l’être. A la FL, nous ne collectivisons pas nos slips, nos partenaires sexuels (tu t’étais mépris sur « Légère »?), nos repas de noël, la musique que l’on écoute (diversité culturelle oblige) et nos smartphones (et là c’est bien dommage). Mais pratiquement tout le reste n’est plus vraiment notre propriété personnelle. Exemple : une partie de mes meubles est dispersée dans les chambres d’autres résident·es, mes outils sont abîmés par je sais pas qui, je mange très rarement seul, je traverse les parties communes une serviette autour de la taille après ma douche et je reçois plus souvent les familles des autres que la mienne…
Tout ceci bouscule nos anciennes habitudes individualistes, notre intimité, nos propriétés. Cela permet aussi d’aller bien plus loin dans nos démarches écologiques, tout en nous proposant une vie plus riche et originale.
Osons la propriété collective et l’habitat partagé, mutualisons.
Propreté Ikéa
C’est crade chez nous ? Tout est relatif. Oui si on compare à une maison connectée. Et ce n’est pas qu’une question de temps consacré au ménage. A effort domestique égal, plusieurs choses expliquent notre faible performance hygiénique :
- Nous cuisinons au bois (quand pas de soleil), les culs de gamelles sont noirs de charbon, c’est impossible et inutile de les nettoyer à chaque fois. Les plans de travail en bois naturels noircissent vite.
- Nous sommes une ferme, avec de la boue et des animaux, pas un laboratoire malgré notre coté expérimental.
- L’autonomie demande du temps pour l’utilisation et l’entretien des multiples équipements et systèmes. Il faut donc rogner sur le temps de loisir, de sommeil ou de ménage…
- Nous utilisons des matériaux naturels, si possible de récup. Il n’y a donc pas de plan de travail en formica ni de murs plastifiés.
Après quelques jours ou semaines chez nous, les visiteur·euses comprennent que le niveau de propreté n’est pas le résultat de notre fainéantise (ce n’est pas pour ça qu’ils s’en accommodent tous) mais est inhérent à des choix plus profonds et stratégiques.
Faisons le deuil d’une maison comme à la télé.
Séparation travail et loisirs
Enfin, le temps de « travail » (bénévole) à la ferme peut sembler très important, plus de 30h par semaine, alors que les résident·es sont sensés avoir aussi des revenus financiers personnels.
Dans une ferme, d’innombrables tâches s’enchaînent en permanence. Chez nous, beaucoup de ces tâches ne sont pas mécanisées et nous poussons toujours plus loin notre autonomie. Bref, c’est du taf. Ou plutôt c’est une vie, il faut l’aimer et ne pas la considérer comme un travail.
Les objectifs de la FL sont ambitieux et ne sauraient se contenter de 2h d’activité par jour.
Conclusion
Voilà pour ce tour pas loin d’exhaustif de nos difficultés d’écolo.
Si nous étions le même groupe depuis le début, nous aurions évolué lentement, au rythme du ensemble on va plus loin. En réalité, le groupe se recompose régulièrement, des anciens partent, des nouveaux arrivent. Ce renouvellement des personnes entraîne un relatif renouvellement des idées. Des trucs pas écolos sont mis sur la table par des nouveaux, ou par les anciens à l’occasion de l’arrivée de nouveaux. Des solutions arrivent de l’extérieur, à défaut arrivent des nouvelles manières d’aborder le problème et ça nous fait avancer. Ce renouvellement n’a pas que des avantages : des « solutions » portées par des anciens s’étiolent et disparaissent après leur départ ; des bonnes pratiques sont remises en cause par des nouveaux…
Marc - Janvier 22
Tu as assez fait d'écran
Demain tu pourras lire un autre article de la Ferme Légère.